Sous les pavés, la plage ….ou l’histoire des carrières du Dramont ( épisode 2 )
Publié le 19 Mai 2016
La quasi-totalité des habitants du quartier était de nationalité italienne, ils provenaient dans un premier temps de la région de Gênes, avec entre eux des liens familiaux proches. Avant les carrières la principale richesse de Saint-Raphaël était issue de l'agriculture (vin, huile) et de la pêche monopole des génois.
Ils habitaient dans les logements mis à disposition par la Direction, le « village des carriers », futur quartier du Dramont.
1895 – Les carrières de Porphyre, collection Mediathèque St Raphael / fonds Carlini – photo J. David
1895 – Les carrières de Porphyre, collection Mediathèque St Raphael / fonds Carlini – photo J. David
1895 – Recadrage sur la photo de groupe - , collection Mediathèque de St Raphael / fonds Carlini – photo J. David
Ce village était majoritairement habité par les ouvriers, à savoir :
- des mineurs, chargés des « tirs de pétards » à la pause déjeuner et après la journée de travail. L'utilisation de la poudre noire entraînait de fréquents accidents.
- des tailleurs de pierre, payés à la tâche et dont les meilleurs taillaient jusqu'à 120 pavés par jour. Des concours internes récompensaient les plus productifs.
- des marqueurs, qui traçaient une marque sur chaque pavé afin d'établir la paye des tailleurs de pierre.
- des forgerons, dont l'essentiel du travail consistait à fabriquer et affuter les outils des tailleurs de pierre.
- des mécaniciens, qui assuraient l'entretien des installations de transport et de traitement des matériaux.
- des graisseurs, lubrifiant chaque poulie à longueur de journée.
- des journaliers, les intérimaires de l'époque, tenant par exemple le poste de pompiste chargé d'évacuer l'eau du fond de l'exploitation.
- des gargotiers, qui portaient de l'eau aux ouvriers pour les soulager des effets de la poussière.
- des manœuvres, chargés de remplir les wagonnets sur les lieux d'extraction ou d'approvisionner les fours à charbon pour les machines à vapeur.
Après leur dure journée de labeur, les carriers bons vivants et solidaires ne manquaient pas une occasion d'organiser une fête ou un bal.
Le « Cercle » est le lieu de rencontre et de détente, cartes, quilles, billard, pétanque.
Dans les années 1920, l'activité extractive est à son plus haut dans le quartier du Dramont. Sur 2000 villageois, 800 travaillent dans plusieurs carrières.
Le catalogue présente 42 modèles de pavés.
En 1907, production moyenne de 2700 pavés / jour, qui atteint 5600 pavés en 1913.
En 1923 la société des carrières de porphyre possède 208 hectares.

Contrat de travail datant de 1923 - source Mémoires de l'Esterel - Collections de la ville de St Raphael 2016.
Document appartenant à Mme Wanda Ubbizzioni, née Giannetti.
Pour 1 franc de l'heure, le carrier travaille 6 jours sur 7, 9 heures par jour.
La chapelle du Dramont, financée par les administrateurs des carrières est construite en 1930.
La ligne de démarcation a été franchise après le débarquement allié de 1942 en Afrique du Nord, une partie du Sud-Est a été occupée par les italiens.
Après la capitulation de l'Italie le 8 septembre 1943, les allemands s'implantent dans le secteur
Les carrières sont réquisitionnées par les Allemands pour fournir des matériaux destinées à construire le mur de la Méditerranée, avec une partie du personnel ainsi que des prisonniers.
La direction du site obtient que la plage du Dramont ne soit pas minée, pour des raisons de sécurité vis-à-vis de son personnel.
Cette exigence et les rejets de déchets de pavés jetés sur la plage favoriseront la pleine réussite du débarquement allié le 11 Aout 1944.
Dès 1944, la municipalité de St Raphael préconise « de classer ce prestigieux littoral ».
En 1947 la disparition programmée des carrières se précise. Le bitume et le macadam remplacent progressivement les pavés.
A noter que l’atelier, les silos, le concasseur étaient situés à l’emplacement actuel de la gare d’arrivée du petit train de Cap Esterel. Carte Postale Médiathèque de St Raphael / Fonds Carlini.
Vue depuis le Sémaphore, vers 1890- Collection de l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées - source BNF / Gallica
En 1957, la société des carrières possède une surface de 204 Ha.
L’activité cesse définitivement en 1959.
En 1982 elle vend 188 Ha à la société Dramont Aménagement qui projette de construire le village de vacances de Cap Esterel.( lieudits : Le Dramont, Les Ferrières, Vallon Vacquier, Garde-Vieille, Aire-Peyronne, le Camp Long)
En 1986, arrêt ministériel autorisant la formation de la ZAC du Cap Dramont, l’ensemble de la propriété est de 210 Hectares suite à l’acquisition de terrains à des tiers.
1989 – Commercialisation du village . L’achat de faisait sur plan, le vendeur situant votre appartement sur une très grande maquette. La piscine à vague est déjà construite
1990 : inauguration de la première tranche du Village de Cap Esterel. ( Publicité P&V pour le lancement de la station)
Les sites d'extraction du Dramont sont devenus pour l'un une réserve d'eau dédiée au réseau d'aspersion du Village de Cap Esterel, pour l'autre une base de loisirs nautiques.
En octobre 2007, les 2 lacs ont été cédés à la commune de St Raphael avec un bail emphytéotique d’une durée de 30 ans, qui autorise les activités existantes.
Le remplissage des lacs se fait uniquement par le ruissellement des eaux de pluie. Mesures effectuées par Antoine Bertani / géomètre le 089/11/1990
A la vue de tous ces travaux immenses qui ont, in fine, crée ces lacs carriers comment ne pas avoir une pensée pour tous ces ouvriers, pour leurs familles, leurs enfants ?
Comment peut-on imaginer en moins d'une génération passer d'un labeur aussi dur à une société de loisirs avide de consumérisme ?
« Les gens n’avaient rien mais partageaient tout » René Zucco, président du Cercle Dramontois,
Extrait d'un article Var matin du 13/04/2016
Mai 68 et tous ces pavés, les plus fleuris comme les plus virulents ont constitué un tournant dans cette période des trente glorieuses, comme aujourd'hui avec toutes les transformations sociétales. Puissions-nous avec ces quelques photos et commentaires garder un souvenir ému de toutes ces personnes qui ont participé à construire l'histoire du Dramont.
Philippe Pons

Le dernier wagonnet est depuis 2019 sur le rond point des Carriers
Sources Iconographiques et Remerciements :
- Jean –Pierre Herreyres, la « mémoire » du Dramont, principal contributeur de cet article.
- La BNF / Gallica pour la mise en ligne de 21 photographies de l’Ecole des Ponts et Chaussées, sur les carrières , datant de 1890.
- La Mairie de Saint Raphael / service Environnement - Mme Denis Caroline
- La Médiathèque de Saint Raphael : Mme Isabelle Riper, directrice de la Médiathèque et Mme Dominique Miraglio, responsable du fonds Carlini.
- Monsieur Antoine BERTANI, géomètre pour le prêt de plans et autres documents.
- Monsieur René Zucco : président du Cercle du Dramont
- Les carrières du Grand Caou – Mme Julie Fournier et M. Couderc.
et merci à Pascal Picot, ancien Président de l’ASCAPE, qui m’a transmis les premières informations sur l’histoire du Dramont.